Messieurs,
Nous venons de prendre connaissance de votre publication "Séquences Bois N° 21" consacrée au Bois Massif, et tenons à vous féliciter pour cette superbe brochure.
La notion de bois massif que vous abordez dans cet ouvrage concerne essentiellement les structures verticales poteau-poutre, dont les ossatures sont réalisées en bois massif et en technique ossature-bois. Nous pensons qu'après ce numéro, vous consacrerez un numéro de "Séquences Bois " aux murs en bois massifs horizontaux, dits en bois empilés, sans lequel le sujet abordé "Bois massif" serait incomplet.
Permettez-nous cependant quelques remarques concernant le présent numéro 21 :
En page 16, sous le titre "Bois Massif : essences, traitements, assemblages", vous faites référence à des "principes d'assemblages assurant une grande durabilité des ouvrages exposés" et vous reproduisez des dessins extraits de l'ouvrage cité de Manfred Gerner : "Les Assemblages des ossatures et charpentes en Bois" .
Au milieu de dessins divers d'entaillures, entures, assemblages de poteaux.... vous présentez au point 4 un dessin "d'entaillure à queue d'aronde" qui ne concerne pas la technique de construction poteau-poutre, mais la construction de murs en bois massif empilés. Ce schéma est-il sensé résumer votre conception et vos conseils en ce qui concerne les assemblages de murs en bois massif empilés, ou bien, comme nous le supposons, consacrerez-vous un numéro entier à ce sujet ?
Quoi qu'il en soit, permettez-nous de vous faire remarquer que le schéma proposé par Manfred Gerner est une variante très rare (une queue d'aronde tous les deux rangs) de la technique d'assemblage traditionnelle en queue d'aronde que l'on trouve surtout dans les pays de l'est. M. Gerner l'a empruntée, à l'ouvrage de Hermann Phleps : "Der Blockbau" (1ère éd. 1942). Ce dernier, grand spécialiste de la construction en bois massif en Europe, la cite parmi une vingtaine de variantes plus classiques de la queue d'aronde , comme une entaille propre aux ethnies slaves et la classe parmi les entailles en queue d'aronde "avec débords d'angle". Le schéma de M. Gerner que vous reproduisez appelle de ce fait trois remarques :
- Dans son dessin et ses commentaires, M. Gerner a supprimé les débords de cette entaille. Vous présentez donc une entaille théorique, qui sans doute n'existe pas
- En complément de ce schéma, M.Gerner précise bien (p.164) "dans cet assemblage, on a d'un côté un seul madrier qui va jusqu'à l'angle, (assemblage à plat-joint : la pièce, non encastrée, n'est pas tenue) tandis que de l'autre mur arrivent deux pièces l'une sur l'autre." Il s'agit donc d'un mode d'assemblage rudimentaire, très simplifié, une sorte de "demie-queue d'aronde", d'une efficacité très contestable. Comment alors pouvez-vous affirmer qu'un tel assemblage assure "une grande durabilité des ouvrages exposés "...
Vous préconisez en fait un type d'entaille tout-à-fait particulier (nous n'en connaissons aucune photo), d'une diffusion géographique limitée, de plus peu solide et peu étanche, dans une version modifiée par M.Gerner. Nous sommes loin de la vraie queue d'aronde enseignée dans les écoles de construction de bois massif (nous ne sommes bien entendu pas du tout hostiles à ce mode d'assemblage, que nous suggérons du reste comme une des alternatives aux entailles à bouts débordants).
- L'entaille à queue d'aronde est, dans la construction en bois massif empilée, une version récente de l'entaille classique à mi-bois avec débord. Originaire des pays slaves, elle s'est répandue assez récemment en Autriche, Hongrie, Roumanie, Suisse....En France même, la queue d'aronde est très rare dans ce type de construction.
Nous sommes donc tout-à-fait étonnés de la présence de ce type d'entaille de mur en bois massif empilé dans votre publication. On peut se demander s'il s'agit d'une négligence dans le choix des illustrations sensées faire référence, ou au contraire d'un choix délibéré correspondant à une volonté "politique" : celle d'orienter la construction en bois empilés vers un type d'assemblages sans débords (dont vous ne semblez pas mesurer les points faibles - étanchéité, stabilité), en opposition à la tradition bien française de construction en bois empilés à bouts débordants (Alpes du Nord, Queyras, Franche-Comté, Allier, Dordogne, Lot-et-Garonne...) que beaucoup d'architectes ont tendance à nier. Nous ne pourrions comprendre que le CNDB, organisme national interprofessionnel soutenu par l'Etat, puisse se prêter à de telles ambiguïtés. Vous n'ignorez pas que la construction en bois fait l'objet de beaucoup d'incompréhensions de la part des architectes et fonctionnaires de l'Equipement, où vos brochures "Séquences Bois " sont présentées comme des références. Demain, des candidats à la construction d'une maison en bois massif se verront conseiller une technique de construction basée sur une variante rudimentaire, désuète et inefficace de la queue d'aronde, et qui plus est, ..."relevant d'une architecture étrangère" (pour reprendre des termes trop souvent rencontrés dans les refus de Permis de Construire)
Certes, nous comprenons fort bien que vous souhaitiez orienter la construction en bois vers une architecture plus contemporaine. Mais cet aspect "traditionnel" de la construction en bois tient-il à ces fameux débords typiques des "chalets" ou au fait que jusqu'à maintenant les architectes ont rejeté d'emblée une technique constructive qui n'est "qu'une technique" et dont ils ne tiendrait qu'à eux de faire une "architecture" digne de ce nom.
Le récent rapport Bianco est d'ailleurs tout-à-fait clair : la construction en bois massif empilé doit être développée en France. Elle est une chance tant pour la valorisation des bois de pays (et non des bois importés), que pour la création d'emplois. Nous avons besoin que les architectes s'intéressent à nos techniques de constructions en bois empilés : madriers et bois bruts (rondins) qui ont depuis longtemps fait leur preuve et sont incomparables sur le plan bio-climatique et écologique. Ces techniques permettent une architecture contemporaine, des mariages de matériaux et de systèmes constructifs : Leur rôle devrait être précisément de nous aider à sortir des poncifs de la cabane et du chalet qui collent à la peau de la construction en bois empilé (peut-être la nouvelle génération d'architectes saura-t-elle relever le défi ....) Celui du CNDB devrait être de les y inciter et de promouvoir, sans être restrictif, l'ensemble des techniques de construction de la filière-bois : "C'est donc au nom et dans l'intérêt partagé de tous les métiers du bois, écrit justement le Président du CNDB, que le CNDB assure la promotion de ce matériau".
Votre brochure est très largement diffusée auprès des écoles, des DDE, des architectes, des organismes... Au moment où le Gouvernement envisage d'étendre vos moyens et vos pouvoirs, il est de votre devoir de former et d'informer l'ensemble de ce public de façon objective, exhaustive et rigoureuse.
Nous souhaitons que cette lettre soit portée à la connaissance du comité de rédaction de Séquences Bois et vous remercions par avance pour votre réponse que nous communiquerons à nos adhérents.

Pour Ass. Bois sacré TCB
Thierry et Marie-F. Houdart

A ce jour, malgré notre relance, le CNDB n'a pas répondu à cette lettre.....
 
 









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